Le loup des mers, de Jack London

_____________________________________________________

- Auteur: Jack London

- Date de publication: 19xx

Critique littéraire trentenaire, Humphrey Van Weyden embarque un jour à bord d'un bateau qui fait naufrage. Miraculeusement rescapé, il est recueilli par une goélette phoquière, Le Fantôme. Légitimement, étant non loin de San Francisco, Van Weyden, narrateur et personnage de ce récit à la première personne, suppose que l'on va le débarquer, et que l'histoire va s'arrêter là!... Il demande à parler au capitaine de la goélette, Loup Larsen. Or celui-ci est un individu redoutable et tyrannique, qui règne en despote sur un équipage qu'il terrorise par sa puissance semble-t-il invincible. Par jeu ou cruauté gratuite, il refuse de débarquer Van Weyden et lui impose de rester à bord en tant que mousse.
Le critique littéraire devient donc le prisonnier de Larsen, retenu malgré lui dans un univers caractérisé par la violence et la bestialité.
Raffiné, délicat, freluquet, peu aguerri aux exercices physiques, Van Weyden va faire véritablement un voyage initiatique. D'abord révulsé, écoeuré par la brutalité de l'équipage, composé d'hommes frustes et grossiers, il n'aura pas d'autre choix que de s'adapter pour survivre... L'intellectuel oisif, fortuné, ayant toujours vécu de ses rentes, va se trouver confronté à la réalité de la vie, et, mieux encore, de la vie la plus rude qui soit! De ce fait, durant tout le livre, il forme un curieux pendant avec Loup Larsen, le capitaine de la goélette, un homme habitué aux rigueurs de l'existence. Fascinant antagonisme que celui de ces deux hommes! L'un est une force de la nature, un colosse dont la puissance est autant morale que physique, tandis que l'autre, "né coiffé", n'a jamais eu l'occasion de développer une quelconque force. Loup Larsen, autodidacte, grand lecteur, se fait un plaisir de regarder évoluer celui qu'il appelle "Hump", et trouve par ailleurs dans les discussions avec lui un intérêt qu'il ne peut trouver auprès de son équipage inculte. De longues discussions philosophiques réunissent ces deux personnages antithétiques : Larsen, le nihiliste, pour qui la vie humaine n'a pas d'autre valeur que celle qu'on lui donne, face à Van Weyden, l'idéaliste un peu fleur bleue... Dès lors, le capitaine et son mousse se mettent à former un étrange tandem, ambivalent, mais au sein duquel Larsen n'oublie jamais de rappeler qui est le maître. "Hump", si cultivé et brillant soit-il, n'est qu'un mousse sur ce bateau...
Par une lubie de ce capitaine lunatique, le narrateur est brusquement promu au rang de second. Il se forme aux techniques de navigation. Parallèlement, son corps frêle s'est renforcé, est devenu plus résistant. Larsen se vante de faire de lui un homme "qui marche sur ses deux jambes" à l'issue de ce voyage.

Le voyage à bord du Fantôme fera de Van Weyden, en effet, un homme complet : c'est étonnamment à travers ce périple qu'il lui sera également donné de rencontrer l'amour, pour parachever son initiation. Ainsi, le héros se déniaise au fil de l'histoire... Même s'il conserve un indéracinable sentimentalisme parfois un peu agaçant!

Le Loup des Mers est donc à la fois un roman d'aventure et un roman de formation. On assiste bien à la formation d'un personnage, cependant que l'on est embarqué dans une véritable aventure à suspense et à rebondissements. Les ingrédients du roman d'aventure sont bien présents. Le vocabulaire technique utilisé par Jack LONDON confère au roman tout son réalisme : la précision extrême, quasi maniaque, un peu pédante parfois, du champ sémantique de la marine, crée la "couleur locale".

J'ai lu ce roman avec passion, heureuse de retrouver Jack LONDON après ma lecture de Martin Eden, le roman "autobiographique" de London. Le Loup des Mers m'a captivée, sa lecture en est agréable et sans effort. Il contient un charme suranné qui m'a plu. On s'attache à ce narrateur un peu naïf, fleur bleue, pas très dégourdi, et on est ravi, à l'instar de Loup Larsen, de le voir devenir un peu moins gauche...
Au-delà de cet aspect léger, Le Loup des Mers est aussi -et surtout!- un roman très profond, et parfois sombre, comme la mer sur laquelle vogue Le Fantôme : il pose de vraies questions angoissantes sur l'existence. Dans la bouche de Loup Larsen, le nihiliste, Jack LONDON a placé une interrogation sur le bonheur qui le taraudait probablement : doit-on être lucide et renconcer au bonheur -la lucidité étant hélas à ce prix!...-, ou bien faire fi de la lucidité pour pouvoir être heureux, comme choisit de le faire le narrateur?...
Loup Larsen et Humphrey Van Weyden, ces deux personnages antagonistes, représentent peut-être la dualité existant chez London : ils matérialiseraient un déchirement, une contradiction interne, chez l'auteur lui-même. Il y aurait un peu de Larsen et un peu de Van Weyden chez London...

Par Véro.

Aucun commentaire: